Les chiffres et les enseignements servis par le HCP : L’avenir ne fait pas rêver les jeunes Marocains
Nezha MOUNIR
Inquiets pour l’avenir, ils le sont. On découvre toutefois chez eux, une fibre patriotique et familiale très développée. Eux, ce sont les 5000 jeunes âgés de 18 à 44 ans (dont 60 % de citadins et 52 % de femmes) qui ont participé à l’enquête menée par le Haut commissariat au plan (HCP) dont les résultats ont été révélés ce vendredi à Rabat. Un travail qui contribuerait à une meilleure connaissance de cette catégorie et apporterait un éclairage utile aux politiques économiques et sociales, voire aux débats sur le modèle de société pour l’avenir. Les conditions économiques, souvent précaires, dictent les comportements et influencent les réponses des jeunes. Leur vécu s’en trouve réellement impacté.
Cela tombe sous le sens quand on sait (d’après l’enquête) que 67 % des 18-24 ans ne disposent pas de source de revenu contre 40 % de la tranche d’âge entre 35 et 44 ans. C’est le terreau fertile pour toutes les appréhensions quant à un avenir incertain qu’ils ont du mal à investir. Alors, quand on les interroge sur leurs principales préoccupations pour l’avenir, la cherté de la vie pointe le nez en premier (84 %) suivie par le chômage et la baisse des ressources (78 %). Tout se tient en fait, le nerf de guerre étant l’argent. C’est ce qui fait que bon nombre de jeunes célibataires (42 %) ne pensent pas à changer leur statut, un homme sur deux contre une fille sur trois (31 %) et (56%) des 18-24 ans contre 25 % des 35-44 ans. Du coup, ils ont du mal à couper le cordon ombilical avec leurs parents. En effet, ils sont plus de la moitié (54%) à vivre au foyer familial. Cela se comprendrait aisément pour les jeunes de 18 à moins de 25 ans (81 %) supposés pour la plupart être étudiants ou à la recherche d’emploi contre 25 % des 33-44. Et bizarrement, les hommes (67 %) ont beaucoup plus de mal à prendre leur envol que les femmes (41 %). Mais dans ce faisceau d’incertitudes, une embellie n’a pas manqué de jaillir. Ainsi, une fois la bague au doigt, la fidélité est de mise. Elle est consacrée comme la clé de la réussite du mariage par 91 % des participants. Pour consolider cette relation, rien de tel que d’avoir des enfants. Une vision partagée par 81 % des jeunes. Sur un autre registre, l’enquête a levé le voile sur d’autres caractéristiques des jeunes. Qui a dit que le patriotisme est une denrée qui se fait de plus en plus rare? Les jeunes de notre panel sont là pour affirmer le contraire. Ainsi, la quasi-totalité soit (98 %) se disent être fiers de leur marocanité. Peut-être le seraient-ils davantage si leurs priorités étaient prises en compte. L’emploi et l’égalité des chances pour y accéder sont avancés par (96 %), suivis de la réforme de l’enseignement (81 %). L’habitat décent arrive pour sa part, en troisième position (81 %). Quant à l’amélioration des services de santé, elle est évoquée par 76 %. Le respect des droits de l’Homme constitue la priorité de 72 % des jeunes alors que l’élargissement de la liberté d’expression est fortement revendiqué par 62 % d’entre eux. Mais pour contribuer au changement, encore faut-il s’investir activement dans la vie publique. Tel n’est pas le cas des jeunes. D’après les résultats de l’enquête, ils y portent trop peu d’intérêt. Et pour cause, seul 1% d’entre eux adhèrent à un parti politique. Les activités des syndicats ne les intéressent guère. Encore mieux, participer à des manifestations sociales ou grèves ne concerne que 4 % des sondés. Tous ces jeunes qui s’identifient majoritairement à la classe moyenne (52 %), pensent que l’évolution du niveau de vie s’accompagne d’une augmentation des inégalités sociales (67 %).
L’enquête du HCP a fait le tour des préocupations de la jeunesse marocaine : L’emploi et l’égalité des chances, une priorité pour les jeunes Libé | Lundi 4 Juin 2012
Pourquoi le choix de la tranche d’âge 18-45 ans ? Il n’existe pas de définition universelle de jeune en termes de tranche d’âge. Si la limite de 18 ans se justifie par l’âge de majorité, le choix d’une limite d’âge supérieure varie largement selon les études et les institutions. Dans plusieurs bases de données internationales sont considérées comme jeunes les personnes âgées de 15 à moins de 25 ans. D’autres études et analyses nationales et internationales retiennent plutôt la tranche d’âge de 15 à moins de 30 ans ou encore 18-29 ans. Dans cette enquête, cette tranche a été élargie jusqu’à 45 ans pour plusieurs raisons. La première tient à ce que l’augmentation de l’espérance de vie en raison de la transition démographique que connait notre pays, avec un allongement de l’espérance de vie de 47 ans en 1962 à 74,8 ans en 2010, donne un espace plus large à notion de jeunesse. La seconde est que dans un contexte d’ouverture sur de nouveaux modes de consommation, de valeurs et de comportements sociaux de plus en plus hégémoniques à l’échelle internationale, les besoins sociaux, les aspirations au bien-être et les normes culturelles d’une partie de la population recherchent de nouveaux cadres d’expression qui peuvent revêtir, tout au moins pendant un certain temps, un caractère corporatiste ou informel. L’élargissement de la tranche d’âge à 44 ans révolus permettra de déceler d’éventuelles divergences dans les comportements et les perceptions entre ce qu’on peut appeler la génération née et élevée dans la période de l’ajustement structurel et celle de l’ouverture économique et démocratique. Enfin, la population âgée de 18 à 44 ans révolus revêt une grande et croissante importance dans la population totale. Elle est passée en proportion de l’ensemble de la population de 35,7% en 1982 à 43,6% en 2010 et en volume de près 7,3 millions à 13,9 millions évoluant au rythme annuel moyen de 2,3%. Elle continuerait à augmenter avec un taux d’accroissement annuel moyen moins élevé de 0,5% pour atteindre 15,3 millions en 2030 ou 40,1% de la population du Maroc. En somme, tout apport à une meilleure connaissance de cette catégorie de la population est une contribution à un éclairage utile pour les politiques économiques et sociales, voire aux débats sur le modèle de société pour l’avenir. Approche méthodologique de l’enquête L’enquête porte sur un échantillon de 5.000 jeunes âgés de 18 à moins de 45 ans (31% âgés entre 18 et 24 ans, 37% entre 25 et 34 ans et 32% entre 35 et 44 ans). Le plan de sondage adopté est de type stratifié à trois degrés : tirage de 403 unités primaires de l’échantillon maître, tirage d’un échantillon de ménages par unité primaire et enfin tirage d’un jeune âgé de 18 à 44 ans par ménage échantillon. L’opération de collecte des données sur le terrain s’est déroulée du 21 mars au 5 avril 2011. L’exploitation de l’enquête, en raison du caractère qualitatif des réponses, a dû demander une approche patiente et rigoureuse avant de donner lieu aux conclusions que nous allons vous présenter. Profil de cette tranche d’âge dans son environnement économique et social 60% des jeunes sont citadins et 52% des femmes. Près de la moitié sont mariés : 17% des 18-24 ans et 80% des 35-44 ans. Ils ont en général un faible niveau d’enseignement notamment parmi les femmes et les ruraux. Globalement, un jeune sur trois n’a aucun niveau scolaire. Ce ratio est plus élevé parmi les ruraux (1 sur 2, contre 1 sur 5 parmi les citadins) et les femmes (4 sur 10 contre 2 sur 10 parmi les hommes). La génération que j’ai appelée celle de l’ajustement structurel, celle de 35-44 ans enregistre un taux plus que double de celui des 18-24 ans (38% contre 15%). Enfin, globalement, 9% des jeunes ont un niveau d’enseignement supérieur. L’insertion dans la vie active de cette catégorie de la population se caractérise par un faible niveau d’activité notamment parmi les jeunes femmes et un taux de chômage élevé notamment parmi les citadins. Le taux d’activité s’établit à 56% mais il est trois fois plus élevé parmi les hommes (86%) que parmi les femmes (28,5%) et passe de 44% parmi les 18-24 ans à 62% parmi les 35-44 ans. Le chômage touche globalement 12% de ces jeunes actifs et est trois fois plus élevé parmi les citadins (17%) que parmi les ruraux (5%) et parmi les 18-24 ans (18%) que parmi les 35-45 ans (5,5%). Concernant les jeunes inactifs, ils sont dans trois cas sur quatre des femmes au foyer et dans 21% des cas des élèves ou étudiants. Dans ces conditions, s’il est compréhensible que 67% des 18-24 ans ne dispose pas de source de revenu, il est par contre, à remarquer que cette situation affecte 40% de la catégorie âgée de 35-44 ans D’autre part, plus de la moitié des jeunes (54%) vivent au sein du foyer parental. Cette situation concerne plus particulièrement les jeunes de 18 à moins de 25 ans (81% contre 25% des 35-44 ans) et beaucoup plus les hommes que les femmes (67% contre 41%). En outre, il s’agit pour 81% de célibataires, 16% de mariés et 3% de divorcés ou veufs. La précarité en matière d’emploi et de revenu n’affecte cependant pas leur mode d’insertion dans leur milieu familial, seuls 9% de ces jeunes déclarent avoir des difficultés avec leurs parents notamment au sujet de leur performance scolaire, de leur fréquentation sociale ou d’un moindre respect des prescriptions religieuses ou des valeurs traditionnelles. Dans ce cadre, 42% des jeunes célibataires ne pensent pas au mariage, un homme sur deux contre une fille sur trois (31%) et 56% des 18-24 ans contre 25% des 35-44 ans. Les raisons évoquées sont liées aux moyens financiers (38%), à l’âge (35% : 40% des hommes contre 24% des femmes) et 16% invoquent le destin (41% des filles et 4% des hommes). L’ouverture sur leur environnement passe par la télévision, la radio et l’internet. 68% des jeunes déclarent regarder la télévision ou écouter la radio de façon régulière. Un peu moins du tiers (30%, 43% des citadins et 10% des ruraux) utilisent l’internet (14% régulièrement et 16% parfois), principalement pour écouter la musique ou regarder les films (70%), communiquer dans le cadre des réseaux sociaux (62%), chercher les informations (59%) ou pour faire des recherches scientifiques et scolaires (51%). Concernant leurs sources privilégiées pour les informations nationales, près des deux tiers utilisent les médias nationaux tandis que 24% obtiennent ces informations des médias étrangers et 5% des amis et proches. Référentiel culturel et moral Le patriotisme, la famille et la religion constituent le système de référence des jeunes. La quasi-totalité (98,5%) affirme être fière de leur marocanité. La famille pour 54,6% et la religion pour 24,1% sont considérées comme les choses les plus importantes dans la vie. Viennent par la suite le travail (10,4%), le progrès du pays (8,7%) et enfin les études (2,3% globalement, 7% pour les 18-24 ans contre 0,2% des 35-44 ans). La famille est particulièrement évoquée par les femmes au foyer (65,7%). Deux jeunes sur trois considèrent le mariage comme une valeur de référence pour des raisons de stabilité familiale et le tiers pour des raisons religieuses 91% considère que, son succès dépend de la fidélité, et 81% croient qu’avoir des enfants est d’une grande importance pour sa réussite. A côté de ces valeurs, somme toute traditionnelles, d’autres facteurs renvoient à des pratiques plus modernes comme la participation des hommes aux tâches domestiques (39%) et la préservation de la liberté individuelle (30%). Sur un autre registre touchant à leur pratiques sociales, on relève que 19% des jeunes ont révélé avoir consommé des cigarettes, 8% de l’alcool et 5% de la drogue. Ces phénomènes concernent nettement plus les hommes que les femmes. Ainsi, 39% des hommes déclarent avoir consommé des cigarettes, 15% de l’alcool et 11% des drogues. Pour les femmes, ces pourcentages sont respectivement de 0,8%, de 0,4% et de 0,3%. Ce sont la curiosité et le désir de faire comme les amis qui poussent les jeunes à ces consommations. La majorité des jeunes croient en l’égalité des chances entre les deux sexes dans les domaines de la scolarisation (81,4%) et de l’emploi (68%). Ils sont plus nombreux parmi les détenteurs de diplôme de niveau supérieur (88,5% et 74% respectivement) à y croire. La croyance en l’égalité des chances en matière d’accès à l’emploi est beaucoup plus exprimée parmi les femmes que parmi les hommes (74% contre 60%). Cependant seuls 60,5% croient en l’égalité entre sexe en matière d’accès aux postes de responsabilité. Enfin, quand on leur demande de citer une valeur ou une personnalité à laquelle ils s’identifient, 63% déclarent ne pas en avoir. Le reste cite des personnalités ou des valeurs relevant essentiellement du domaine religieux (25%), de l’art (25%) ou du sport (23%). Perceptions des réalités sociales Les jeunes Marocains s’identifient majoritairement à la classe moyenne, plus d’un jeune sur deux (52%) pensent y appartenir contre 46% qui s’identifient plutôt à la classe modeste. Par niveau scolaire, 37% des sans niveau scolaire s’identifient à la classe moyenne contre 57% de ceux ayant un niveau moyen et 73% de ceux ayant un niveau supérieur. Par tranche d’âge, 57% des 18-24 contre 49% des 35-44 ans se considèrent de la classe moyenne. Interrogés sur l’évolution de leur niveau de vie au cours des dix dernières années, 45% des jeunes perçoivent une amélioration, 32% une stabilité et 21% estiment que les conditions de vie se sont plutôt détériorées. L’amélioration est perçue par 49% des 18-24 ans contre 43% des 35-44 ans. Cette appréciation positive de l’évolution du niveau de vie s’accompagne d’un large consensus parmi les jeunes sur l’augmentation des inégalités sociales (67% d’entre eux) et la détérioration de la solidarité familiale (45% globalement, 49% parmi les 35-44 ans contre 42% parmi les 18-24 ans). Quand on les interroge sur les facteurs d’ascension sociale, 79% citent l’ambition et le sérieux et 76% l’éducation. L’appartenance à une famille aisée est également un déterminant pour 54% alors que l’adhésion politique ou encore l’appartenance ethnique ou régionale ne sont évoquées que par 26% et 16% des jeunes respectivement. Enfin, en terme institutionnel, un jeune sur deux (54,3%) considère que la pratique démocratique s’est améliorée au Maroc. Participation à la vie publique Les jeunes Marocains accordent peu d’intérêt à la chose publique. Seuls 1% des jeunes adhèrent à un parti politique, 4% participent aux rencontres de partis politiques ou de syndicats, 1% sont membres actifs d’un syndicat, 4% participent à des manifestations sociales ou grèves et 9% participent à des activités de bénévoles. En outre, 36% participent aux élections de façon régulière et 14% de façon non régulière. Par ailleurs, 58% des jeunes ont grande ou moyenne confiance en la justice (contre 26% qui n’en ont pas), 49% (contre 32%) dans le gouvernement, 60% (contre 24%) dans la presse, 49% (contre 28%) dans la société civile, 37% (contre 42%) dans le parlement, 26% (contre 60%) dans les collectivités locales et 24% (contre 55%) dans les partis politiques. A noter dans ce sens, que le niveau de confiance dans les institutions, en général, est relativement plus élevé parmi les jeunes ruraux que parmi les citadins, parmi les femmes que parmi les hommes, et parmi les inactifs, notamment les femmes au foyer, que parmi les chômeurs. Priorités et inquiétudes Concernant leurs priorités, l’emploi et l’égalité des chances pour y accéder sont avancés par 96% des jeunes, la réforme de l’enseignement par 83% ; l’habitat décent arrive en troisième position des priorités avec 81% suivi de l’amélioration des services de santé avec 76%. Le respect des droits de l’Homme a été évoqué comme priorité par 72% des jeunes et l’élargissement de la liberté d’expression par 62% d’entre eux. Pour l’avenir, la cherté de la vie (84%), le chômage (78%) et la baisse des ressources (78%) sont les principales préoccupations des jeunes.
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