Libé : En tant qu’acteur de la scène politique sahraouie, quel est votre avis sur le retrait de la confiance du Maroc à l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, Christopher Ross ? Hamada Eddarouich: Je pense que M. Ross se prédestinait à être un excellent négociateur entre les parties en raison de sa bonne connaissance du Maghreb où il a exercé de hautes fonctions diplomatiques pour le compte de son pays qui est la première puissance du monde. De plus, il a été un témoin, j’allais dire acteur privilégié, des tractations diplomatiques qui ont conduit au cessez-le- feu en 1991 et la mise en place du dispositif onusien appelé MINURSO. Il bénéficie de l’expérience et du travail de prospection de ses prédécesseurs, en particulier son compatriote, l’ex-secrétaire d’Etat James Baker avec lequel il a collaboré. Avec toute la modestie qu’impose le sujet, je pense qu’un négociateur se disqualifie dès qu’il ne se situe plus à égale distance des parties. Un négociateur est un facilitateur et à ce titre, il n’a pas de position tranchée et publique par rapport aux thèses des parties en conflit. Autrement dit, il n’est pas juge. C’est une interface qui perd cette qualité dès que l’une des parties le récuse, c’est connu et c’est déjà arrivé plusieurs fois dans cette affaire. C’est dommage mais ce n’est pas la fin du monde. On rebelote et c’est tout. S’agissant de mon avis sur la question, je connais de quel côté de la barrière je me situe de manière irrévocable et je fais miennes les raisons avancées par le Maroc sur ce sujet. Lesquelles ? Le communiqué officiel a été rendu public et je ne reviens pas là-dessus. Pour ma part, je considère que compte tenu du grand nombre de rounds sans résultat palpable, on marque le pas et on perd du temps même si les rencontres nous donnent un sentiment d’espoir. Ross est censé savoir qu’il n’y a aucune déchéance de souveraineté au Sahara et que ses remarques sur les compétences et la liberté de faire des Casques bleus au Sahara est une atteinte à la souveraineté du Royaume. De plus, son intention de visiter les provinces du Sud à une date qui coïncide avec les agissements des perturbateurs séparatistes ne me semble pas fortuite, même si ces agissements de faible amplitude, sont à mettre sur le compte de la démocratie et de l’élargissement des libertés que connaît le Royaume et non pas sur les capacités de mobilisation du Polisario. Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais je crois que ces manquements graves ne sont que la partie visible de l’iceberg.
Selon vous, qu’est-ce qui va se passer ? Logiquement M. Ross doit présenter sa démission au Secrétaire général de l’O.N.U qui, après concertation avec les parties, nommera un nouvel envoyé spécial. Je répète qu’un négociateur récusé par l’une des parties est automatiquement disqualifié, c’est ce qui est advenu à Van Walsun dont le tort a été le réalisme et l’objectivité en prônant l’Autonomie comme seule solution politique possible au conflit. On rebelote avec une nouvelle expérience et une nouvelle donne.
A quoi faites-vous allusion ? Le monde change – et le Maroc avec – vers un horizon meilleur où les espaces de liberté ne cessent de s’élargir. Au Maroc, la démocratie est en marche et l’actuelle équipe au pouvoir en est une preuve. Les dernières élections législatives étaient transparentes et les mutations se font dans la sérénité et le respect des opinions divergentes. Des secousses populaires ont balayé dans la douleur des régimes arabes figés et antidémocratiques. L’onde de choc continue de se propager et nous ne sommes pas inquiétés pour autant puisque le socle fondateur de ce pays est millénaire et solide et les changements souhaités étaient déjà soit en place ou en gestation avancée depuis belle lurette. Ce repère doit être pris en compte. D’autre part, notre voisinage immédiat, le Sahel, est en ébullition et la sécurité de la sous-région et du monde est menacée. Le monde et les peuples de notre sous-région ont besoin de nations crédibles et stables. Les micro-Etats créés ex-nihilo deviennent dangereux et perturbent l’ordre mondial. La crise mondiale nous invite à remettre sur les rails la construction du Maghreb qui va dissoudre les notions inutiles des souverainetés, les retards nous font supporter un coût d’opportunité extraordinaire. L’Algérie et le Polisario gagneraient à prendre en compte ces éléments pour revenir à la raison. Je dis bien revenir puisque l’Algérie d’avant 1974 soutenait la marocanité du Sahara et le Polisario est d’inspiration marocaine au départ.
Quelle est, selon vous, la situation actuelle? Les positions sont encore très éloignées et le Polisario ignore qu’une négociation n’a de sens que si les parties ont une propension à faire des concessions. Il faut savoir donner pour prétendre recevoir. Les négociations actuelles sont destinées à trouver une solution politique au conflit et il faut s’inscrire dans cette logique, il n’y a pas d’autre issue. Le Maroc offre une Autonomie large du territoire et sa proposition peut être davantage affinée. Il faut avoir la lucidité, l’objectivité et la clairvoyance et surtout le courage de dire et défendre qu’il n’y a pas de solution consensuelle de droit à trouver. Chacun a sa propre interprétation des faits. De fait, le Polisario ne conteste pas les prétentions marocaines sur le Sahara. Il se cache derrière l’expression de la volonté de la population dont les formes sont d’ailleurs multiples dans une société comme la nôtre très éloignée des concepts occidentaux. Ses dirigeants sont nés dans la partie septentrionale du Maroc, sa propagande est orientée essentiellement vers les populations du Sud du Maroc selon ses termes, ses agitateurs sont recrutés dans la même zone. Il n’arrête pas de donner les preuves de sa marocanité et celle du Sahara.
Que préconisez-vous pour avancer ? M. Ross s’est payé le luxe d’organiser des rencontres entre des Sahraouis marocains et du Polisario pour des joutes, des devinettes et charades en Hassania, notre dialecte. Mais cela s’est fait en dehors de notre cadre naturel qui est le désert, les tentes, les chameaux, etc. C’est vraiment méconnaître nos sentiments et notre philosophie de la vie que de réunir nos notables à Lisbonne pour se raconter des histoires propres à amuser des bergers couchés sur une dune sous la voûte étoilée en plein désert alors que nos familles sont déchirées, notre sang a coulé à flots pour des sottises, notre tissu social s’est effiloché pour des principes farfelus et importés. Il faut aller à l’essentiel, c’est-à-dire se retrouver sur notre sol et sous la souveraineté marocaine en toute dignité. La feuille de route qui doit nous mener à cet objectif est le discours Royal de Laâyoune le 25 mars 2007, les décisions qui y figurent sont péremptoires. Il faut impliquer d’avantage les cadres sahraouis aptes à défendre la cause à l’intérieur et à l’étranger. Ils sont les premiers concernés et en principe les mieux outillés pour le faire, la question comporte des subtilités qu’ils sont les seuls à percevoir. Cette aptitude englobe la formation et l’appartenance aux ensembles sociaux essentiels de la population du Sahara, laquelle demeure, il ne faut jamais l’oublier, très tribalisée. Sur le plan diplomatique, je pense, et je l’ai déjà dit, que la Mauritanie est un point d’intersection fondamental entre les parties qu’il faut mettre à profit pour rapprocher les points de vue. Il va falloir décomplexer les rapports des différentes parties concernées et intéressées avec ce pays, qui constitue l’épicentre du monde Beydane et la charnière entre le Maghreb et l’Afrique noire.