Jeune Afrique
Par François Soudan
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Combattants islamistes près de Tombouctou, en avril. © AFP/Romaric Ollo Hien
Alors qu’une intervention armée dans le nord du Mali se précise, les jihadistes affluent. Parmi eux, des jeunes venus des camps sahraouis. Enquête sur une dérive mafieuse et terroriste.
Lentement, inexorablement, la perspective d’une guerre des sables pour la reconquête du Nord-Mali, désormais planifiée sans plus de précisions pour le premier quadrimestre de 2013, se rapproche. À Tombouctou, à Gao, à Bourem, à Tessalit et dans toutes les localités de l’Azawad quotidiennement survolées par des avions de surveillance, les jihadistes s’organisent dans la fièvre pour la mère de toutes leurs batailles. Un vent de paranoïa souffle sur les katibas d’Aqmi, du Mujao et d’Ansar Eddine, qui multiplient contrôles et arrestations au sein d’une population civile soupçonnée d’abriter la cinquième colonne de l’ennemi impie. Des caches d’armes, de carburant et de munitions sont creusées à la hâte autour de la demi-douzaine de camps d’entraînement récemment ouverts pour accueillir les nouvelles recrues venues de tous les recoins d’un « Sahelistan » qui s’étend de l’Atlantique au Darfour, attirées autant par les primes offertes – jusqu’à 3 000 euros par individu – que par les mirages de la guerre sainte.
En petits détachements de 40 à 60 hommes, jusqu’à 300 volontaires selon les services de renseignements français sont ainsi arrivés courant octobre à Tombouctou et Gao, dont une bonne partie, pour ne pas dire l’essentiel selon les témoins, s’expriment en hassaniya, le dialecte arabe des Maures et des Sahraouis. Rendue publique par l’AFP le 21 octobre et développée depuis dans plusieurs reportages, l’information selon laquelle des membres du Front Polisario auraient rejoint le Nord-Mali a été aussitôt démentie par la direction du mouvement indépendantiste, le ministère français des Affaires étrangères précisant de son côté qu’il n’avait « pas eu connaissance » de liens entre le Polisario et les jihadistes. À juste titre. L’on imagine mal, effectivement, Mohamed Abdelaziz et les chefs du Front s’acoquiner avec des groupes terroristes en guerre ouverte contre leur hôte algérien. Sauf que ni lui ni les autorités d’Alger ne sont jusqu’ici parvenus à enrayer la progression du virus salafiste chez les jeunes des camps de réfugiés de la région de Tindouf, encore moins à empêcher le départ de ces desperados d’un exil sans fin vers les rivages chimériques du jihad rétribué.
Totalement occultée par les indépendantistes sahraouis et les médias algériens, l’existence dans les camps d’activistes se réclamant de la Salafiya Jihadiya (ou, plus récemment, d’Ansar el-Charia) n’est pas un phénomène récent. Importé à la fin des années 1990 par des étudiants sahraouis rentrés des universités algériennes et de cette pépinière salafiste que fut l’Institut théologique saoudien de Nouakchott (fermé en 2003), l’islamisme radical trouve rapidement un écho favorable dans trois mosquées très fréquentées du désert : Omar Ibn Al-Khattab (camp dit de Smara), Abou Bakr Assedik (camp dit d’Aousserd) et Alkitab wa Assouna (camp de Laayoune). C’est là qu’ont lieu les premiers recrutements, sous la houlette d’imams autoproclamés tels que Mohamed Salem Lahbichi et Abba Ould Saleh, alias Abou Salman. La première participation connue de salafistes radicaux issus des rangs du Polisario à une tentative d’opération terroriste remonte à décembre 2003, lorsque la police mauritanienne arrête, à Nouadhibou, un ancien soldat de l’Armée populaire de libération sahraouie (APLS) pour vol d’explosifs. Il s’agit là d’un acte isolé, mais son auteur, Baba Ould Mohamed Bakhili, reconnaît très vite travailler pour le compte du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, le GSPC, qui deviendra Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) en janvier 2007.
Acide nitrique
Cette connexion se vérifie quatre mois plus tard lors du démantèlement, toujours en Mauritanie, d’une filière de recrutement jihadiste dont l’animateur, Mohamed Lamine Ould Louleïd, dit Maaouya, vient des camps de Tindouf. Elle se confirme de façon spectaculaire en juin 2005 quand deux katibas du GSPC, la katiba des Moulathamine de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, et la katiba Tarek Ibn Ziad, dont le noyau dur est composé de Sahraouis, prennent d’assaut le poste mauritanien de Lemgheity. Elle ne fera plus de doute au cours des années suivantes, à l’occasion de plusieurs accrochages violents survenus en Algérie (attaque de la brigade de gendarmerie d’El-Menia, en avril 2006), en Mauritanie (démantèlement d’une cellule d’Aqmi dont l’objectif était d’assassiner l’ambassadeur d’Israël, en octobre 2008) ou au Niger (combat de Telemses entre la katiba Tarek Ibn Ziad et l’armée nigérienne, en décembre 2009). À chaque fois, des Sahraouis ayant reçu une formation militaire dans les camps du Polisario sont impliqués.
Les émirs d’Aqmi recrutent au sein des camps du Polisario.
Pour Abdelmalek Droukdel, le chef suprême d’Aqmi, et les émirs successifs de la zone sud – Yahia Djouadi, Nabil Makhloufi et depuis peu Djamel Oukacha, alias Yahia Abou el-Hamman -, recruter au sein des camps du Polisario est à la fois un moyen de combler les pertes dans leurs propres rangs et l’assurance d’obtenir des moudjahidine aguerris, connaissant parfaitement le terrain saharien.
Arrêté au Mali en novembre 2007 alors qu’il cherchait à se procurer une quantité importante d’acide nitrique, puis extradé en Mauritanie où il purge depuis une peine de dix années de prison, Hakim Ould Mbarek, fils d’un fonctionnaire du protocole du Polisario, illustre un autre aspect de cette collaboration : le trafic. Avec son complice Maaouya (cité plus haut), il détournait dans les camps de réfugiés des stocks de médicaments, de munitions et de pièces de rechange, puis les enfouissait dans des caches repérables par GPS, avant de les vendre aux jihadistes. Une dérive mafieuse qui va rapidement prendre de l’ampleur. Le 7 septembre 2009, quatre cadres du Polisario dont l’adjoint du commandant de la Ire région militaire Taleb Ami Deih sont kidnappés en territoire algérien par un gang d’Arabes Bérabiche du Nord-Mali et emmenés à Taoudenni avant d’être libérés quelques jours plus tard contre le paiement d’une rançon par la direction du mouvement indépendantiste. En cause : une cargaison de cannabis venue du Maroc et non livrée à ses destinataires maliens. Deux mois plus tard, trois humanitaires espagnols sont enlevés sur l’axe Nouakchott-Nouadhibou par un groupe se réclamant d’Aqmi et dirigé par Omar Ould Hamma (dit Omar Sahraoui), ex-membre du Polisario naturalisé malien et trafiquant notoire.
Capturé à son tour par des agents mauritaniens à Gao, puis exfiltré vers Nouakchott, Omar Sahraoui sera finalement échangé en août 2010 contre les humanitaires qu’il avait ravis. En décembre 2010, un nouvel incident survient entre l’armée mauritanienne et une colonne de trabendistes sahraouis. Arrêtés, ces derniers citent le nom de leur commanditaire, Mohamed Ould el-Mhaidi, alias Rubio, baron régional de la drogue, ex-cadre de la IIe région militaire du Polisario et proche du patron des services de sécurité du Front, Mohamed Ould Laakik.
Réalité sordide
Dans la nuit du 22 au 23 octobre 2011 enfin, c’est le coup d’éclat, mais aussi le coup de grâce pour la crédibilité sécuritaire du Polisario. Deux humanitaires espagnols et une italienne sont kidnappés au camp de Rabbouni, à quelques dizaines de mètres des locaux abritant la présidence de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et amenés dans la localité malienne d’El-Khalil, non loin de la frontière algérienne (ils seront libérés neuf mois plus tard). Considéré comme l’acte fondateur du Mujao, la branche dissidente d’Aqmi qui règne aujourd’hui sur la ville de Gao, et revendiqué par son chef militaire, le Malien Ahmed Tilemsi, alias Abderahmane Ould el-Ameur, ce rapt a été commis par des Arabes Bérabiche guidés par une poignée de Sahraouis, dont les dénommés Aghdafna Hamadi Ould Ahmed Baba et Mamina Ould Laghfin. Familier de Rabbouni, ce dernier finira par être arrêté (et débriefé) par les services mauritaniens à Nouadhibou, le 5 décembre 2011. Là encore, cette opération terroriste à connotation religieuse recouvrait une réalité sordide : un règlement de comptes entre trafiquants.
Aucun barrage, aucune patrouille, aucun champ de mines ne pourra empêcher la jeunesse sahraouie de prendre la piste de Tombouctou.
Les autorités algériennes se sont longtemps contentées de mettre en garde la direction du Polisario, preuves à l’appui. À plusieurs reprises, des camions militaires sont venus déposer à l’intérieur des camps les dépouilles de Sahraouis enrôlés dans les rangs du GSPC (puis d’Aqmi), tués lors d’opérations de ratissage. De son côté, le Front a réagi avec embarras, mais sans la vigueur escomptée, se contentant de procéder au « nettoyage » de quelques mosquées suspectes et de remettre pour interrogatoire à la gendarmerie algérienne une dizaine de salafistes du camp d’Aousserd, en juillet 2008.
En janvier 2010, la pression monte d’un cran. La sécurité militaire algérienne procède elle-même à l’arrestation, à Tindouf, de l’iman et « mufti » sahraoui Mahjoub Mohamed Sidi, considéré comme le leader local d’Ansar el-Charia, chez qui sont saisis des armes, de l’argent, des uniformes, vingt kilos de TNT et des correspondances avec des responsables opérationnels d’Aqmi. Mais l’enlèvement d’Européens en plein territoire algérien est la goutte d’eau de trop. Les 8 et 9 décembre 2011, des éléments des forces spéciales algériennes participent au ratissage des camps aux côtés des services de sécurité du Polisario que dirigent Mohamed Ould Laakik et Mustapha Ould Sidi al-Bachir. Depuis, les barrages routiers et les patrouilles nocturnes autour de la républiquette en exil ont été renforcés et le Polisario est tenu de livrer tout suspect à la gendarmerie – ce qu’il a fait début septembre 2012, en remettant aux Algériens un groupe de Bérabiche du camp de Laayoune. Reste que, comme on s’en aperçoit aujourd’hui, l’appel d’air venu du Nord-Mali agit comme un aimant sur toute une partie de la jeunesse sahraouie, celle qui n’a eu depuis sa naissance que les camps de toile pour tout horizon, l’endoctrinement pour toute école et Mohamed Abdelaziz pour unique « líder máximo ». Cette jeunesse-là, aucun barrage, aucune patrouille, aucun champ de mines ne pourra l’empêcher de prendre la piste de Tombouctou.
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