Par Abdelmounim El Gueddari * | Lundi 19 Décembre 2011
La création de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) en 1989 traduit certes la volonté des Etats maghrébins de se regrouper pour faire face aux diverses contraintes externes et internes ; mais la réalisation de cette union est restée un vœu creux suite à une série d’obstacles et d’événements malheureux. L’appui officiel de l’Algérie aux thèses des séparatistes du Polisario dans l’affaire du Sahara va condamner le processus d’intégration régionale maghrébine en la reléguant au second plan.
Alors même que le Traité de Marrakech du 17 février 1989 instituant l’UMA stipule dans son article 15 que «Les Etats membres s’engagent à ne permettre sur leurs territoires respectifs aucune activité ni organisation portant atteinte à la sécurité, à l’intégrité territoriale ou au système politique de l’un des Etats membres», il est tout a fait loisible de constater que l’Algérie ne ménage pas ses effort pour déshonorer ses responsabilités politiques en hébergeant sur son territoire une entité dont la seule raison d’être est de satisfaire les plans géostratégiques algériens. Cette position algérienne sur l’affaire du Sahara réside selon certains spécialistes dans «un conflit entre deux histoires contradictoires, une histoire récente de l’Algérie qui veut s’affirmer en tant que telle et une histoire ancestrale du Maroc fondée sur des origines anciennes et solides».
En tout état de cause, la tension qui marque les relations entre l’Algérie et le Maroc, conjuguée à d’autres facteurs, participe au blocage de l’intégration maghrébine et ne favorise point ses intérêts dans un environnement international marqué par un ensemble de défis nécessitant l’intégration et réfutant la division. Ainsi, force est de constater que la création d’une entité séparatiste (le Polisario) à l’intérieur du Maghreb est en contradiction avec l’évolution du monde post guerre froide.
La création d’une entité «fantoche» au sein du Maghreb ne menace pas seulement la paix et la sécurité dans la région mais occulte sérieusement les véritables préoccupations des Etats maghrébins. Ces derniers sont confrontés à d’importants défis économiques qui affectent lourdement la paix sociale dans ses Etats.
Le Polisario constitue donc une menace à la construction maghrébine. Sur le plan politique et économique, la marche vers l’intégration est naturellement incompatible avec la création de micro-Etats. Dès lors, une question préliminaire mérite d’être posée. Quel est l’impact de la création du Polisario sur le processus de l’intégration maghrébine ? Quid de l’unification dans un cadre de conflit et de tension sur fond de balkanisation de la région ? Enfin, le Polisario ne présente-t-il pas un obstacle à la volonté des puissances économiques étrangères de privilégier la coopération avec le Maghreb en tant qu’entité régionale et non avec ses Etats pris individuellement ? Un obstacle à l’intégration politique
L’affaire du Sahara influencera négativement les relations entre les principaux Etats de la construction maghrébine à savoir le Maroc et l’Algérie. Signalons que ces derniers sont liés par un traité de bon voisinage daté du 15 janvier 1969 (Traité de fraternité de bon voisinage et de coopération d’Ifrane) par lequel les deux parties s’engagent à respecter l’intégrité territoriale des deux Etats et s’abstiennent d’assister toute partie qui menacera leur territoire. Pourtant, depuis la fin du colonialisme espagnol du Sahara marocain, l’Algérie va appuyer le mouvement séparatiste nommé «Front Polisario». Ce qui constitue une entorse aux engagements du traité d’Ifrane et provoque une rupture diplomatique entre le Maroc et l’Algérie, entravant ainsi la marche vers une Union Maghrébine qui sera au point mort. Le poids de ces deux Etats au sein du Maghreb va bloquer définitivement le processus d’intégration. Les peuples de la région se trouvent ainsi privés de la réalisation de l’unité maghrébine longtemps désirée depuis la lutte commune contre le colonialisme. Les germes des conflits intra régionaux, initiés par les puissances occidentales ont donc pris le dessus sur l’unité. Ces conflits ont démontré les limites de certains dirigeants maghrébins à gérer la période postcoloniale, mettant de côté les aspirations des peuples de la région.
Ils se sont montrés en effet impuissants à gérer les véritables problèmes soulevés par le sous-développement. L’échec des stratégies de développement économique au niveau étatique traduit la défaillance de l’intégration régionale puisque dès les années quatre-vingt, un ensemble de manifestations à caractère social qui a embrassé les Etats du Maghreb a été observé. Ces crises économiques concomitantes aux bouleversements de l’ordre international vont amener les Etats du Maghreb à une refonte de leur stratégie de développement pour faire face notamment à la crise de l’endettement qui a sanctionné les économies maghrébines. L’intervention du fonds monétaire international pour orienter les économies des Etats du Maghreb ne sera pas dénuée par ailleurs d’effets négatifs sur la situation sociale à l’intérieur de la région.
Par ailleurs, les expériences étrangères en matière d’intégration régionale montrent que certaines intégrations ont largement dépassé les aspects économiques pour atteindre des objectifs politiques à travers une fédération des Etats membres de l’organisation régionale concernée. Le modèle de l’Union européenne demeure à cet égard exemplaire pour les Etats membres de l’UMA.
En effet, cette organisation régionale à intégration avancée est fondée sur une conception économique qui vise à terme une intégration politique de ses Etats membres. Le débat relatif aux spécificités étatiques dans certains domaines a cédé ici le pas à l’approche communautaire envisagée par le Traité fondateur.
Dans ce cadre, les Etats ont juridiquement perdu certaines de leurs compétences nationales exclusives relevant traditionnellement de la compétence régalienne des Etats. L’intégration tend à estomper l’Etat au profit de la Communauté. Conséquence logique de l’objectif assigné à la Communauté, à savoir la réalisation d’une Union plus étroite, plus proche des citoyens, ce qui ne saurait nous surprendre à l’ère des grands regroupements régionaux.
Dans ce cadre, la création d’une entité micro-étatique au sein du Maghreb constitue non seulement une source de crise politique entre le Maroc et l’Algérie, mais également un handicap important à la réalisation de l’Unité maghrébine. En d’autres termes, le Polisario fait échouer au Maghreb des «occasions» d’unité voire d’une solution confédérale au niveau des systèmes politiques de ses Etats. La formule de S.M Hassan II, le 24 juillet 1973 «Dans un Maghreb confédéré, le Sahara libéré du joug colonial s’insérerait tout naturellement» demeure d’une actualité certaine.
Un obstacle à l’intégration économique
Si l’on sait que le coût de la non intégration économique du Maghreb s’élève annuellement à 10 Milliards de dollars US, il est tout à fait permis de s’interroger sur les causes de ce manque à gagner pour les économies nationales maghrébines. Il est clair que les Etats du Maghreb relèguent la coopération économique à un second plan entraînant ainsi une perte à chaque Etat du Maghreb évaluée chaque année à 2 % du produit intérieur brut. Le même constat peut être relevé dans le domaine des échanges commerciaux, puisque les échanges intermaghrébins ne représentent que 2% du commerce extérieur de chacun des Etats.
L’ensemble converge vers une coopération ténue voire faible entre les Etats du Maghreb. Comparé avec les échanges qu’effectuent ces même Etats avec les Etats tiers, cette remarque prend toute son ampleur. C’est dire que le conflit du Sahara pèse et influe négativement sur les relations économiques maghrébines pourtant très complémentaires.
En effet, il est utile de rappeler ici que les économies du Maroc et de la Tunisie reposent principalement sur l’agriculture et le tourisme, alors que l’Algérie et la Libye produisent du pétrole et du gaz, la Mauritanie dispose quant à elle d’importantes richesses notamment halieutiques et en gisements de fer.
Sur le plan de la participation des Etats du Maghreb au processus de partenariat dans la région euro-méditerranéenne, il est clair que ces Etats en se présentant individuellement aux pourparlers internationaux diminuent largement leur marge de négociation limitant ainsi la possibilité de mieux défendre leurs intérêts communs. Aussi, les Etats maghrébins ont signé des accords bilatéraux de partenariat avec l’Union européenne sans prendre en considération les intérêts économiques de la région maghrébine dans son ensemble.
Cependant la démarche officielle des Etats du Maghreb contraste singulièrement avec l’image qu’offre la mosaïque disparate des économies nationales. En matière économique, l’UMA repose en effet sur trois piliers tels que développés par la réunion de la présidence tenue en Algérie en 1990 : création d’une zone de libre échange, création d’une Union douanière et réalisation d’un marché commun maghrébin.
Au lieu de s’attacher à la réalisation de ces principes et objectifs, force est de constater que l’Algérie se donne comme objectif principal le soutien au Polisario. Soucieuse de préserver un accès sur l’Atlantique et une exploitation rentable de ses réserves de fer de Gara Djebilet, l’Algérie continue à travers le Polisario et la «RASD» à empêcher la construction d’un Maghreb en quête de son identité.
Pourtant, le Maroc n’a pas ménagé ses efforts pour surmonter ces calculs stratégiques limités et sans grand intérêt pour la région. Après de nombreux compromis, une solution d’autonomie dans le cadre général d’une décentralisation du Royaume pouvait réconcilier «un irrédentisme sahraoui débarrassé d’un indépendantisme, qui n’a d’ailleurs jamais été parasité par l’idéologie nationaliste et un nationalisme marocain qui ne peut se réduire à un simple jacobinisme».
Les obstacles que jette le Polisario à la construction maghrébine sont incompatibles avec les développements récents de la société internationale. En effet, depuis la chute du mur de Berlin en 1989, le monde s’est mondialisé. L’importance est désormais accordée aux grands groupements régionaux et non aux structures étatiques et à fortiori aux organisations fantoches tels que le Polisario ou la «RASD».
Indépendamment des revendications de cette entité à un prétendu «droit à l’autodétermination», et indépendamment des efforts des parties concernées à trouver une solution négociée à l’affaire du Sahara, il est clair que la construction maghrébine n’a que faire de la création d’un nouvel Etat en quête de légitimité.
L’UMA, offre aujourd’hui un cadre pertinent de coopération voire d’intégration si ses Etats fondateurs affichent suffisamment de volonté politique. Les complémentarités entre ses Etats membres conjuguées aux défis que soulève la mondialisation constituent autant de facteurs qui plaident pour une meilleure intégration facilitée en outre par une unité linguistique, raciale, cultuelle et culturelle.
Le Polisario et la pseudo «RASD» n’ont aucune chance de survivre à l’ère de la mondialisation. Leurs capacités de nuisance face à un Etat structuré sont vouées à l’échec. Et l’appartenance du Maroc à une alliance régionale confirme l’engagement irréfutable du Royaume à défendre l’approche communautaire. Ainsi, «s’achèverait invaincue, la dernière aventure des «seigneurs du désert» et commencerait l’aventure problématique de la construction d’un Maghreb…».
* Professeur à l’université
Mohammed V –Souissi
Article publié en collaboration avec le Centre d’études internationales
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