Par : Souad Adlani
Rabat – Le Haut Commissaire au Plan, M. Ahmed Lahlimi a plaidé pour une réforme de l’Etat pour que le Maroc puisse faire face aux tendances lourdes portées par les réalités de son économie, de sa société et de son environnement régional et international.
Le contexte actuel est marqué, entre autres, par un ralentissement de la croissance et la détérioration des soldes financiers due en grande partie à l’augmentation croissante des prix internationaux des produits alimentaires et énergétiques et de la charge budgétaire de leur subvention et, d’une façon générale, aux coûts de gestion de l’administration.
La première démarche à laquelle d’aucuns pensent d’emblée, porte sur le blocage des salaires, alors qu’elle devrait porter sur une réforme de l’Etat, en mettant à profit la régionalisation portée par la mise en œuvre de la constitution ainsi que par le maintien de l’effort d’investissement avec un ciblage prioritaire des facteurs de durabilité de la croissance et du progrès social. Parmi ces facteurs, il y a lieu de citer, bien entendu, la réforme, devenue urgente, du système actuel de retraite sous la double contrainte de la viabilité financière et de l’équité intergénérationnelle, ajoute M. Lahlimi.
S’agissant de la réforme de l’Etat, le Haut Commissaire au Plan a déploré le chevauchement des attributions entre plusieurs institutions, ainsi que la structure des salaires mise en place à coup de revendications catégorielles et qui ont atteint aujourd’hui une situation marquée par une inflation de statuts, ainsi que par la faible adéquation quantitative et qualitative des ressources humaines aux besoins sectoriels et territoriaux de développement.
“Les effets d’un certain nombre de décisions prises ou qui ne l’ont pas été peuvent perdurer pendant longtemps”, a-t-il dit, citant parmi les décisions prises, le départ volontaire des fonctionnaires qui a pénalisé le rendement de l’administration économique et sociale. Au titre des décisions non prises, la réforme de la Caisse de compensation dont le poids budgétaire continue à peser sur les équilibres financiers, est l’élément qui mérite le mieux d’être mis en exergue, a expliqué M. Lahlimi.
Il s’agit, également, poursuit-il, du mode de conduite du dialogue social qui s’inscrit souvent dans des démarches de revendications de portée conjoncturelle, sans prise en compte suffisante des capacités du pays et surtout de la productivité du travail et de la nature des structures de l’économie marocaine dans son ensemble .
“Demeure également le sempiternel problème de la compétitivité de nos entreprises”, qui, pour le responsable marocain, à côté du rétablissement des équilibres financiers, implique l’obligation d’une allocation plus judicieuse des ressources.
Cela suppose, d’après lui, un consensus général des opérateurs économiques et sociaux selon une vision commune des impératifs de la compétitivité globale par delà les approches catégorielle et sectorielle.
Et de faire remarquer que la transition démographique, qui s’accompagne de la montée d’une demande sociale plus pressante et d’un changement profond dans le système des valeurs des nouvelles générations, implique des réformes profondes autant économiques, sociales qu’institutionnelles.
Il a noté d’autre part que le changement climatique, qui risque par ses effets déjà sensibles sur les ressources naturelles du pays de dégrader le niveau de croissance potentiel, rend nécessaire une anticipation de graves problèmes induits en termes environnementaux, énergétiques, hydrauliques mais aussi, compte tenu de la position géostratégique du Maroc, en termes sociaux et sécuritaires.
Dans le contexte des mutations que connait la mondialisation dans la phase actuelle de son évolution marquée par l’émergence de nouvelles sources technologiques, sectorielles et régionales de la compétitivité, le Maroc ne peut faire l’économie d’une réévaluation profonde, et sans complaisance, de ses modèles de croissance économique et de redistribution sociale des revenus, fait-il valoir.
La refonte du système d’enseignement et de formation et la réforme du mode de gouvernance publique et privée de notre économie constituent, dès lors, des composantes déterminantes de cette compétitivité globale que requièrent les mutations annonciatrices du monde de demain”, soutient le Haut Commissaire au Plan.
“Il faut investir dans le système de formation pour en relever le niveau de rendement. On connaît la faiblesse de son rendement interne. Le taux d’abandon et de redoublement est énorme. Le taux de rendement externe, en d’autres termes l’accès qu’il ouvre au marché, est tout aussi préoccupant. Le taux de chô mage de ses lauréats est particulièrement élevé”, prévient M. Lahlimi. Pour valoriser ce domaine, suggère-t-il, la problématique se pose moins en termes d’effort budgétaire qu’en termes de contenu et de choix institutionnel anticipant les besoins du marché de l’emploi.
Le Haut Commissaire au Plan souligne aussi l’importance de la promotion des petites et moyennes entreprises comme réserve d’investissement et d’emploi notamment. Dès que ces entreprises peuvent être organisées en réseaux, bénéficier d’un traitement qui encourage la formation et l’investissement, elles ont vocation à imprégner le tissu économique, véhiculer de nouveaux modes de gestion, de nouveaux rapports sociaux et devenir des vecteurs importants de la modernité , argue M. Lahlimi.
Abordant la situation économique actuelle, il a préconisé de faire face au déficit de la balance de paiements qui menace la capacité de financement de l’économie nationale et pose la question cruciale de la compétitivité globale de notre pays.
Selon les prévisions du Haut Commissariat au Plan (HCP), le taux de croissance pour l’année 2012 devrait s’établir à 2,4 pc. Ce taux est faible par rapport à la moyenne enregistrée au cours des dix dernières années (de l’ordre de 5 pc environ). Cependant, souligne M. Lahlimi, si on tient compte du contexte international, le Maroc reste parmi les pays qui réalisent un taux de croissance positif et, somme toute, relativement remarquable comparé à des pays de même niveau.
Le ralentissement du rythme de croissance du Produit intérieur brut a été, toujours selon le HCP, de 2,8 pc au 1er trimestre 2012 contre 5,6 pc le même trimestre de l’année précédente.
Le déficit de la balance de paiements se dégrade depuis 2007 allant de pair avec celui du budget de l’Etat. Cette situation pose, selon M. Lahlimi, un problème important de financement de l’économie nationale. Le taux d’épargne nationale serait en fléchissement, passant de 28 pc en 2011 à 26,9 pc en 2012 et à 26,3 pc en 2013. En revanche, le taux d’investissement brut s’élèverait à 35,6 pc du PIB en 2013, soit au même niveau estimé pour 2012.
Pour M. Lahlimi, tout gouvernement qui réussirait à réformer le système de la compensation et celui des retraites et mettrait en œuvre un processus de réforme de l’Etat dans le cadre des dispositions institutionnelles prévues par la constitution à l’échelle nationale et régionale, aura une mention spéciale dans l’histoire du développement de notre pays .
De l’avis du Haut commissaire au Plan, le Maroc peut se prévaloir d’une judicieuse orientation générale du modèle de croissance et de développement humain qu’il a su promouvoir au cours de son histoire récente. Il s’agit désormais d’inscrire cette orientation dans la durée.
Sur un autre registre, le Haut Commissaire au Plan a relevé que “nous ne pouvons maximiser le niveau de notre résilience que si nous nous inscrivons dans un marché plus large, en l’occurrence l’Union du Maghreb Arabe qui, pour être encore largement virtuelle, reste l’incontournable destin des pays maghrébins”.